mardi 24 novembre 2009

***Refonder l'Unesco, par Manuel Maria Carrilho...***

***Qui, de nos jours, attend encore la parole de l'Unesco ?

Face à la crise profonde du monde actuel, une crise inédite, systémique et mondiale, y a-t-il encore quelqu'un pour attendre les réponses de l'Unesco ? Quelqu'un pour attendre ses propositions ? Quelqu'un pour s'inspirer de sa vision ?

Non. Force est de constater que malgré ses programmes innombrables et assurément méritoires, c'est loin d'être le cas. Cela traduit la trajectoire déclinante de la plus importante institution mondiale pour la culture, l'éducation, la science, la communication et les droits de l'homme.

Et pourtant, cette institution – fondée il y a soixante-quatre ans, le 16 novembre 1945 – a déjà bien rempli ce rôle. Elle l'a fait en soutenant pendant des décennies l'idée que l'éducation, la science et la culture sont des moyens décisifs pour atteindre la prospérité et la paix et pour contribuer, comme il est dit précisément dans son acte constitutif, au "respect universel de la justice, de la loi, des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans discrimination de race, de sexe, de langue ou de religion."

Aujourd'hui, l'Unesco se trouve à une incontournable croisée de chemins : ou bien elle continue sur le trajet qui l'a de plus en plus enfermée bureaucratiquement sur elle-même et l'a affaiblie dans sa capacité de parler au monde, ou bien, s'inspirant des meilleurs moments de son histoire, elle se revivifie en s'ouvrant aux besoins d'une époque et d'un monde qui ont considérablement changé ces derniers temps.

Ce n'est qu'ainsi, en portant une nouvelle vision capable de mobiliser ses agents et d'attirer l'opinion publique et les citoyens, que l'Unesco parviendra à reconquérir le leadership mondial inspirateur qui fut le sien.

Cependant, ce leadership ne pourra voir le jour que s'il est tout d'abord un leadership d'idées et de causes, effectivement capable d'ouvrir de nouveaux horizons sur le monde et ses plus grands bouleversements, et cela dans une perspective aussi globale que véritablement civilisationnelle.

Après des décennies pendant lesquelles le champ d'action de l'Unesco s'est élargi mais aussi banalisé, il est sans doute temps de revenir à l'essentiel, en ayant le courage des priorités que la situation exige.

Cette dernière année a montré quotidiennement le désarroi dans lequel nous sommes tous plongés : le manque de repères et de boussoles qui puissent donner un sens à la vie et au monde ; les sophismes des experts enfermés dans des modèles artificiels, qui ne prévoient rien et n'expliquent que très peu ; l'impasse des politiques mondiales qui puissent répondre à la mondialisation économico-financière, en inventant de nouveaux équilibres entre le droit et le marché ; la frivolité des médias, qui deviennent de plus en plus les otages de l'instant et du sensationnel ; la difficulté des sociétés à avoir une vision d'ensemble sur elles-mêmes, comme si elles étaient aveuglées par le présent et n'avaient ni histoire ni avenir.

La crise du monde actuel ne pourra être surmontée sans que l'on prenne ces problèmes à bras-le-corps. C'est pourquoi l'Unesco devrait être, dans notre monde, aussi importante, voire plus importante que le FMI. C'est le défi qu'elle se doit de relever. Irina Bokova, la nouvelle directrice générale, s'est portée candidate avec une vision en faveur "d'un nouvel humanisme pour le XXIe siècle."

L'expression peut être celle-ci ou bien une autre. Mais l'intention est bonne, opportune et vitale, car elle suggère le plan des valeurs comme celui du défi le plus décisif pour le futur de l'humanité. Des valeurs qui, plus qu'un écho du passé de l'humanité, doivent être surtout capables de donner naissance – à côté de la politique et de l'économie – à un nouveau, à un troisième pilier de la mondialisation : celui de la culture, dans l'acception la plus vaste du terme.

L'Unesco du XXIe siècle a besoin d'une refondation. Elle a besoin d'une nouvelle définition de sa mission dans le monde, à la lumière des mutations survenues ces dernières décennies et des interrogations inédites qui ont émergé avec la crise que l'on connaît. A son acquis normatif, si important dans les domaines du patrimoine, de la diversité culturelle ou des droits humains, il convient désormais d'ajouter une exigence plus prospective, faisant de l'Unesco un véritable laboratoire d'idées à vocation universelle.

*Manuel Maria Carrilho, ambassadeur du Portugal auprès de l'Unesco, est philosophe, auteur de plusieurs ouvrages (certains traduits en français) et ancien ministre de la culture du Portugal (1995-2000).

LE MONDE
23.11.09

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