Vision pour l’UNESCO
L’UNESCO dans le monde globalisé : un nouvel humanisme pour le XXIe siècle
Cette année est marquée par des défis qui affectent l’humanité comme jamais auparavant. Alors que la mondialisation a permis à des millions de personnes de sortir de la pauvreté, la crise globale sans précédent – économique, financière, sociale, alimentaire, environnementale, mais aussi morale et éthique, menace la réalisation de l’agenda le plus important du multilatéralisme actuel – les Objectifs du Millénaire pour le développement, et touche les pays les plus vulnérables, surtout en Afrique. Cette crise nous impose l’impératif d’agir d’urgence.
Pendant ces neuf derniers mois j’ai visité 45 pays, j’ai parlé avec des chefs d’Etat et de gouvernement, des ministres, des intellectuels, des scientifiques et des artistes. J’ai visité des dizaines de Commissions nationales, ainsi que des bureaux de l’UNESCO à Abuja, Bangkok, Islamabad, Kingston, Nouvelle Delhi et Santiago de Chile.
Ma conviction que la gouvernance globale du XXIe siècle représente le défi le plus grand du monde actuel s’est confirmée. En surmontant la crise, nous ne devrions pas retourner au statu quo ante. Le vrai challenge est de conduire le monde dans une nouvelle ère de paix et d’humanisme, de créer des sociétés plus inclusives, plus justes et plus équitables grâce à un développement économique et social durable basé sur le savoir, la science et l’innovation, destinés à servir l’humanité tout en préservant l’environnement.
Nous devons renforcer le multilatéralisme, revigorer les Nations Unies afin de rendre plus cohérents et plus performants les efforts visant le développement des plus vulnérables et des plus affectés par la crise. Je suis convaincue plus que jamais que tout en respectant sa vocation universelle, l’UNESCO doit continuer à accorder sa priorité à l’Afrique, notamment en matière d’éducation et aux petits Etats insulaires en développement.
Transformer le défi en opportunité
Le grand défi est de transformer la crise en une opportunité et de créer un monde plus démocratique et plus humain, où les valeurs de dignité humaine, de droits de l’homme et d’égalité des chances d’accès à l’éducation et à l’information, soutiendront toute considération économique et politique.
L’UNESCO doit participer au débat sur la gouvernance globale car ses domaines de compétence sont au cœur de la mondialisation. Avec ses 193 Etats membres et ses six membres associés, elle est aujourd’hui plus démocratique, universelle et ouverte à la coopération avec la société civile.
Le mandat constitutionnel de l’UNESCO reste pertinent au XXIe siècle, où l’édification des sociétés du savoir est un impératif ; où la culture est un élément crucial pour tout débat sur le développement ; où la science et l’innovation marquent la nouvelle ère de l’avenir de l’humanité dans tous les domaines sociaux et environnementaux, comme l’eau et le changement climatique; où nous devons mieux comprendre les transformations profondes de nos sociétés ; et enfin où le dialogue, la tolérance et le respect de la diversité représentent une valeur humaniste qui mérite d’être nourrie.
L’UNESCO possède un outil unique pour la mobilisation de l’opinion publique et des communautés intellectuelles et académiques autour de ses politiques – les Commissions nationales. Avec ses centaines, voire milliers de membres dévoués dans le monde, véritables garants de l’esprit et des valeurs de l’Organisation, elles méritent un renforcement et un soutien sans réserve.
L’éducation – le chemin à parcourir
L’UNESCO doit réaffirmer le rôle central de l’éducation dans le développement. En tant que chef de file des Nations Unies l’UNESCO doit préconiser une coordination cohérente dans la bonne gouvernance, la qualité de l’enseignement, le financement de l’éducation et la réduction des disparités basées sur le sexe ou les revenus. Nous devons aspirer à une éducation inclusive et de qualité aux niveaux primaire, secondaire et supérieur.
Afin d’atteindre l’objectif le plus important – l’enseignement primaire universel, un engagement résolu en faveur de l’EPT est indispensable, en mettant l’accent sur la qualité. Jomtien, Dakar et Oslo proposent une vision globale et des mesures concrètes pour atteindre ces objectifs.
Je ferai appel aux gouvernements pour une allocation appropriée de ressources nationales à l’éducation et aux partenaires à respecter les engagements pris et à assurer le flux de ressources adéquates sur le plan bilatéral et multilatéral, conformément à la Déclaration de Doha.
Dans les pays qui ont progressé vers l’EPT, l’UNESCO doit viser les exclus de l’éducation, en particulier les filles et les femmes. Il faut explorer toutes les possibilités de coopération Sud-Sud dans le domaine de l’éducation, y compris l’échange de bonnes pratiques, et j’encouragerai tout effort dans ce sens.
L’enseignement technique et professionnel peut contribuer à alléger la pauvreté et à promouvoir la croissance économique.
Je suis persuadée que l’éducation pour le développement durable, basée sur l’interdépendance de l’environnement, l’économie, la société et la diversité culturelle, est la clé pour un monde plus juste et plus prospère du XXIe siècle.
La science et la technologie au service de l’humanité
Ma conviction est que la science doit occuper une vraie place prioritaire. L’UNESCO doit devenir le leader et le mobilisateur des gouvernements, des institutions spécialisées et de la communauté scientifique dans le domaine de la science, de l’innovation et des nouvelles technologies, y compris des technologies vertes, sous le slogan « La science et la technologie au service de l’humanité ».
Le changement climatique, la biodiversité, la mitigation de catastrophes naturelles, la gestion de l’eau, l’énergie et les pandémies sont les nouveaux défis de la science, qui doivent être prioritaires dans les programmes de l’UNESCO, tout en incorporant la dimension éthique. Je fais miennes les recommandations du Comité d’examen d’ensemble des Grands Programmes II et III faites en 2006 et je m’emploierai à les promouvoir.
L’UNESCO doit accompagner les politiques nationales pour mieux intégrer la science, la recherche et l’enseignement scientifique.
Et pour donner plus de visibilité et promouvoir la science comme priorité, je proposerai la création d’un Comité scientifique consultatif composé d’éminentes personnalités comme des Prix Nobel et de lauréats de Prix UNESCO.
La culture : tolérance, compréhension mutuelle et développement
L’image de l’UNESCO est étroitement associée à la culture et au patrimoine culturel, où son mandat est unique et bien visible. La protection du patrimoine – matériel et immatériel, et la promotion de la diversité culturelle, sont les outils les plus efficaces permettant à l’UNESCO de conférer un caractère plus humaniste et démocratique face à la mondialisation.
Je regrette que la culture ne figure pas parmi les OMD et je relancerai le débat sur la culture et le développement, parce que la culture doit accompagner tout effort au développement.
De même, la culture et l’éducation sont les meilleurs moyens pour promouvoir la paix, particulièrement dans des situations post-conflit, la tolérance, le respect des droits de l’homme et la dignité de l’autre. L’UNESCO doit s’adresser de façon proactive à des initiatives qui poursuivent les mêmes nobles objectifs telle l’Alliance des civilisations.
Communication et Information
La liberté d’expression, les medias indépendants et pluralistes, la libre circulation des idées et l’accès à l’information et au savoir à travers les nouvelles technologies sont les conditions essentielles pour assurer la transparence, la responsabilisation et la bonne gouvernance.
L’UNESCO doit continuer à promouvoir des projets phares telles la Mémoire du Monde et la Bibliothèque numérique mondiale qui permet l’accès libre et gratuit sur Internet à des ressources culturelles des bibliothèques et des archives du monde entier.
L’UNESCO doit s’investir davantage dans les dimensions éthiques, juridiques et socioculturelles de la Société de l’Information en soulignant également les opportunités que les technologies de l’information et de la communication offrent à tout individu.
Enfin, je souhaiterais voir une collaboration plus étroite s’établir entre le Secteur CI et BPI en vue d’optimiser la visibilité de l’Organisation.
L’UNESCO et « Unis dans l’action »
Un des grands défis de l’UNESCO concerne son intégration dans « Unis dans l’action ». Je salue les efforts du Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, visant à réorganiser et à rendre les activités des agences, fonds et programmes chargés du développement plus cohérentes. Je suis convaincue que l’UNESCO, tout en décentralisant ses activités opérationnelles, doit y participer activement.
L’UNESCO n’a pas d’alternative à cette intégration. Je considère également qu’un débat approfondi sur le sujet au sein de l’UNESCO serait souhaitable. J’encouragerai un tel débat pour élaborer une vision stratégique permettant de promouvoir nos objectifs d’une manière convaincante.
Voilà un exemple, parmi tant d’autres, qui illustre la nécessité impérative d’une synergie entre le Directeur général et les Etats membres.
Budget, gestion et administration
Dans mon activité future, je serai guidée par les principes suivants :
* Transparence, responsabilisation et approche axées sur les résultats
* Meilleure coordination intersectorielle et approche interdisciplinaire
* Meilleure gestion des ressources humaines, mobilité et rotation du personnel, en encourageant l’esprit d’initiative
* Promotion des femmes à des positions supérieures
* Répartition géographique plus équitable au sein du Secrétariat, des experts et des consultants
Afin d’atteindre ces buts, j’envisage le suivant :
* Optimisation de la gestion supérieure de l’UNESCO
* Renforcement de la présence de l’UNESCO sur le terrain
* Mise en œuvre des recommandations du Commissaire aux comptes
* Renforcement du Service d’évaluation et d’audit
* Recours aux ressources humaines locales, notamment dans les pays où l’UNESCO n’est pas représentée.
Par rapport à nos ambitions, le budget de l’UNESCO est bien modeste. Mais un réalisme pragmatique, dicté par la crise, doit inciter l’Organisation à mieux utiliser les ressources existantes, réduire les dépenses administratives, moderniser ses structures et devenir plus efficace et plus performante. L’action de programme devrait l’emporter clairement sur l’activité administrative.
Je salue la décision du Comité d’aide au développement de l’OCDE de relever le coefficient de l’APD de l’UNESCO de 25% à 44%, reflétant ainsi le rôle important de l’Organisation. Cela dit, j’estime qu’il faut atteindre 75% et je compte m’y employer.
L’UNESCO doit se concentrer sur un nombre réduit de priorités pour lesquelles sa compétence est universellement reconnue comme chef de file incontestable. Cela présuppose une consultation de toutes les parties concernées – une tâche complexe et laborieuse qui demande courage, résolution et patience.
Le financement des programmes par des ressources extrabudgétaires est encore un défi pour l’Organisation. Nous sommes témoins d’une augmentation des ressources extrabudgétaires et d’un déclin simultané des ressources du budget ordinaire. Il importe de trouver un équilibre entre ces deux composantes.
La politique de l’UNESCO pour le recouvrement des coûts doit lever la pression sur le budget ordinaire. Sans une telle politique, le budget ordinaire semble de plus en plus inefficace. C’est un défi que l’UNESCO doit relever en poursuivant l’harmonisation des pratiques au sein du système des Nations Unies.
Mon credo pour l’UNESCO : un nouvel humanisme
Dans mes activités futures, je serai intransigeante sur toute question relative au respect et à la dignité de chaque pays, grand ou petit, développé ou en développement, ainsi qu’au respect et à la dignité de chaque être humain.
Pour ma part, je serai entièrement disposée à travailler en étroite consultation avec les Etats membres, les ONG et la communauté intellectuelle en vue de rendre l’action de l’UNESCO plus cohérente, plus efficace, plus visible et plus conforme aux impératifs des priorités redéfinies. Nous devons tous créer une nouvelle synergie entre le Directeur général et les Etats membres sur la base d’une forte volonté politique visant à réformer l’Organisation.
Depuis des années, j’ai été engagée dans les efforts en faveur de l’égalité des sexes. Ayant participé aux trois grandes Conférences des Nations Unies pour la femme – à Copenhague (1980), à Nairobi(1985) et à Beijing(1995), je considère que l’égalité entre les sexes figure parmi les objectifs politiques et humanistes les plus importants de notre temps. Je serai fortement motivée de voir l’UNESCO redoubler ses efforts pour atteindre cet objectif.
Cette année nous célébrons le XXe anniversaire de la chute du mur de Berlin, qui a changé le monde entier et a libéré l’esprit de millions d’hommes et de femmes.
Mon rêve est de voir ce même esprit mener nos efforts ici à l’UNESCO vers des sociétés plus justes et plus prospères fondées sur le savoir, la tolérance et l’égalité des chances pour tous, grâce à l’éducation, la science, la culture et l’accès à l’information.
Mon concept d’un nouvel humanisme pour le XXIe siècle me guidera dans toute mon activité.
Irina BOKOVA
Directrice générale de l’UNESCO
15 novembre 2009
Bien à vous,
Morgane BRAVO
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